Stanislas Barthélémy a fait partie, dans les années 90, des fondateurs de l’Association. Dans un style léger et élégant, il raconte des histoires bricolées et rêveuses. Il travaille depuis plusieurs années à l’adaptation en BD du feuilleton radiophonique de Jacques Tardi et Michel Boujut : Le perroquet des Batignolles. Nous l’avons rencontré le temps de quelques questions.
LES IMAGES QUI RACONTENT : Il y a quelque chose qui se dégage dans tout un pan de votre travail (notamment les histoires et illustrations les plus oniriques) qui rappelle le charme des décors en carton-pâte et de la marionnette. L’impression est celle d’un monde bricolé : les phylactères, onomatopées et traits de mouvements deviennent presque des objets palpables. À ce titre, je vous trouve héritier de bricoleurs du rêve tels que Méliès (on pourrait penser aujourd’hui à Michel Gondry), et en bande dessinée, pour citer deux auteurs auxquels vous faites souvent référence, peut-être plus proche d’Alain Saint-Ogan que d’Hergé dans votre rapport à la réalité.
STANISLAS: Oui pour moi l’œuvre artistique en général, la bande dessinée en particulier, est une interprétation du monde qui nous entoure. Le fait d’interpréter, de recréer le monde avec ses personnages, ses décors, son atmosphère, ses bruits, sa lumière, ses émotions et tout le reste, est une démarche créative vraiment passionnante.
Même si je reste convaincu que le dessin doit rester au service de la narration, d’un récit, d’une action, d’un fond, la forme ne doit pas oublier d’avoir du style, et une existence.
Le plus difficile pour moi, et ce après quoi je cours depuis des années, c’est de rendre vivant tout ce petit monde en papier. Entre un certain réalisme et une stylisation de l’image, entre le plaisir de fignoler un décor et la fonctionnalité d’un dessin, il y a un équilibre à trouver. Le bon dosage, le ton juste.
Tout cela est dû à plusieurs facteurs: Le temps passé à réaliser une image, la trace laissée sur du papier par une plume trempée dans de l’encre de chine.
Sans oublier la forme spécifique du médium bande dessinée, une succession de cases dessinées et rassemblées sous forme de livre, avec ses phylactères, onomatopées, et autres graphismes stylistiques d’appoint pour exprimer l’immatériel, mouvement, lumière, ombre, matière etc.
Et pour moi toute cette cuisine doit rester visible et s’assumer, comme les fils d’une marionnette ou le gratouillis d’une guitare.
Tout cela est bien visible dans l’œuvre merveilleuse d’Alain Saint Ogan, et la première moitié de celle d’Hergé.
On fait beaucoup appel à vous pour illustrer des couvertures d’ouvrages traitant d’Hergé. Au-delà de la passion pour son œuvre, êtes-vous lecteur de la multitude d’essais et d’écrits biographiques autour de son travail ?
C’est vrai, j’ai dessiné une demi-douzaine de couvertures d’ouvrages sur Hergé.
J’ai toujours été passionné par Hergé et son œuvre, depuis Le crabe aux pinces d’or le premier livre (soigneusement emballé dans du papier kraft) que j’ai lu, chez mes grands-parents en Bretagne, jusqu’à aujourd’hui et la belle exposition HERGE au Grand Palais à Paris, en passant par Les aventures d’Hergé la biographie en bande dessinée d’Hergé que j’ai réalisée sur un scénario de Bocquet et Fromental.
En 1975 Tintin et moi de N. Sadoul reste pour moi un grand moment de lecture. J’avais alors une douzaine d’année, et je découvrais avec un immense intérêt la vie de l’homme qui se cachait derrière Tintin, Georges Rémi.
J’ai lu quelques autres bouquins sur Hergé, je me souviens notamment du Hergé de Pierre Ajame, puis de celui d’Assouline.
Sadoul et Assouline sont les deux seuls personnages qui ont critiqué défavorablement notre album à Bocquet, Fromental et moi, Les aventures d’Hergé, je ne devrais par leur faire de publicité. Il est vrai qu’avec notre bande dessinée, on marchait sur leurs plates-bandes.
Parmi les livres dont j’ai dessiné la couverture, j’ai particulièrement apprécié les deux ouvrages de Renaud Nattiez: Le mystère Tintin et Le dictionnaire Tintin (à paraitre en janvier 2017).
La bibliographie d’un mythe de Roche et Cerbelaud est un objet fascinant.
Vous travaillez actuellement sur une série au long cours, Le Perroquet des Batignolles, dans laquelle votre dessin tend vers un semi-réalisme plus marqué que d’ordinaire, peut-être dû au fait que l’histoire est ancrée dans un univers contemporain et des lieux existants. Cela change-t-il votre approche de la mise en scène ?
Au fil des ans mon travail semblait s’être spécialisé dans le rétro, avec Victor Levallois, Les aventures d’Hergé, Toutinox, et d’autres, et cela ne me satisfaisait pas.
Pourtant j’ai toujours considéré qu’avec mon style graphique je pouvais tout dessiner, du moyen-âge à la science-fiction.
Alors quand Tardi m’a proposé d’adapter Le perroquet des Batignolles, le feuilleton qu’il avait écrit pour Radio France avec son copain Boujut, outre le fait que leur texte était une mine d’or pour moi, j’ai vu là l’occasion de dessiner mon époque, tout comme mes maitres Saint Ogan, Hergé, Jacobs, Franquin et Tilieux le firent en leur temps ou comme Dodier le fait aujourd’hui.
Le scénario du Perroquet est un cadavre exquis de grande qualité mais aussi complètement loufoque. Alors par contradiction j’ai pris le parti de le dessiner avec beaucoup de soin et de réalisme, et notamment de situer les différentes scènes d’action dans des décors existants, avec des bagnoles, des trains, et des personnages d’aujourd’hui. Ainsi je pouvais enfin réaliser une œuvre ancrée dans son temps.
Hélas plusieurs critiques ont souligné le côté joliment rétro de mes albums du Perroquet !?
Ainsi même en me contraignant à dessiner des Peugeot d’aujourd’hui, des TGV et des téléphones portables, mon travail resterait-il résolument rétro, telle une malédiction ?
Mon troisième Perroquet actuellement en chantier sera donc plus libre, voir surréaliste.
Le Perroquet des Batignolles est une série au long cours. Cela change-t-il quelque chose au rituel de travail quotidien ?
En effet c’est un travail au long cours. Trop long cours.
C’est pourquoi je suis obligé de faire des pauses, de dessiner d’autres albums plus petits, plus légers, pour me changer les idées, pour oublier les Perroquets, et enfin pour pouvoir y revenir remotivé et y prendre à nouveau du plaisir.
Votre trait est élégant, léger et va à l’essentiel sans trop en faire. Ce souci de synthèse a-t-il toujours été présent, depuis vos débuts ?
Je suis un inconditionnel du fonctionnel. « La fonction façonne la forme » comme le dit si bien Toutinox.
Une bande dessinée c’est avant tout une histoire, une narration, et le dessin doit être à son service.
Le regard du lecteur doit glisser sur l’image sans buter sur des fioritures inutiles qui peuvent brouiller le message.
Ceci étant dit, le dessin idéal doit aussi être artistiquement intéressant, et provoquer sa dose de plaisir et d’émotion.
Utile, simple et vivant, sans frime, sans artifices, hors mode.
Probablement à cause de ce travail du trait, il m’arrive de me demander si c’est toujours en noir et blanc que vous imaginez d’abord vos dessins. La mise en couleurs joue-t-elle un rôle primordial en amont lorsque vous concevez un dessin?
Pour moi la bande dessinée c’est des traces d’encre de chine sur du papier blanc qui racontent des tranches de vie.
Je l’avoue je prends un grand plaisir à dessiner des grandes planches en noir et blanc, je collectionne aussi celles de mes collègues, les murs de mon bureau en sont couverts.
Et là je me contredis quand je parle de fonctionnalité, puisque la finalité d’une bande dessinée, qui est un art populaire, est d’être éditée en livres à des milliers d’exemplaires et lue par un maximum de lecteurs, et pour ce faire la couleur est essentielle parce qu’elle favorise la lecture à un large public.
Le noir et blanc c’est très beau, mais cela n’intéresse qu’une minorité de spécialistes.
Pour ma part j’ai la chance de pouvoir confier la mise en couleur de mes bandes dessinées à l’excellente coloriste Dominique Thomas.
Toutes les images de cet article sont copyright Stanislas Barthélémy.