Rencontre avec Taï-Marc Le Thanh

L’auteur des séries de littérature jeunesse Jonah, Le jardin des épitaphes ou Les sept de Babylone revient pour nous sur son parcours, entre écriture et graphisme.

Vous souvenez-vous, dans l’enfance et la jeunesse, des lectures qui ont été fondatrices de votre goût pour le visuel et pour les mots ?

Taï-Marc Le Thanh : J’ai des souvenirs de livres que ma mère me lisait. Il y en a notamment un qui m’a beaucoup marqué, une version des aventures de Sinbad le marin, plus ou moins extraite des Mille et une nuits. De manière générale, j’étais sensible aux récits d’aventures, au fantastique. Je pourrais identifier les illustrations, mais je me souviens avoir surtout été marqué par le récit. Il y avait aussi les petits albums du Coq d’Or comme La petite poule rousse. Mais je dois dire qu’il n’y avait pas beaucoup de livre, durant mon enfance, donc ce sont principalement des classiques qui me reviennent. Pour ce qui est du visuel, ma première expérience était celle de voir mon père dessiner. Il dessinait surtout le week-end, souvent des reproductions de tableaux. Je pouvais passer de longs moments à l’observer.

Son activité principale n’avait pas de lien avec le dessin ?

Non, il était ingénieur. Lorsque je me suis lancé dans ma carrière de graphiste, après une école de dessin, j’ai eu du mal à lui imposer ça. Pour lui, c’était une activité du dimanche, qui correspondait aux loisirs et pas au monde professionnel.

Mais ce plaisir de week-end-là, il en parlait ? Il mettait des mots dessus ? Et dessiniez-vous avec lui ?

Je me souviens d’un premier cours qu’il m’avait donné, très académique. Ça consistait à reproduire une lampe : retrouver les formes géométriques qui constituent cette structure plus complexe. Il m’expliquait comment tenir mon crayon à bout de main pour essayer de jauger des angles. C’est un souvenir qui m’est vraiment resté.

Votre choix de vous orienter ensuite vers le graphisme vient donc, à l’origine, d’un goût pour le dessin.

Oui. Enfant, je dessinais énormément. J’avais souvent des carnets de croquis sur moi, je faisais de la BD. J’aimais bien reproduire des photos, aussi. Avec le cinéma, le dessin était une des seules choses qui pouvaient me passionner.  

La question ne s’est pas posée de vous professionnaliser, à travers des études par exemple, dans l’illustration ou la bande dessinée ?

Si, la question s’est posée. J’ai fait une école de dessin et l’envie depuis la jeunesse était de faire de la bande dessinée. J’avais envie d’inventer des histoires et de dessiner. Puis de fil en aiguilles, en sortant de l’école, je me suis retrouvé à chercher du travail, et j’ai rapidement intégré un groupe de presse, en tant qu’assistant de fabrication. Ce n’était pas forcément mon domaine. C’était de la presse informatique. C’était en été et je considérais d’abord ça comme un travail de vacances. Puis j’ai bien sympathisé avec les équipes. Lorsque mon contrait est arrivé à son terme, je leur ai présenté mon book et j’ai eu du travail en tant qu’indépendant. Je ne suis pas revenu au dessin. Les occasions ne sont pas présentées. Le fait que Rebecca dessine joue aussi probablement dans le fait que je ne dessine plus (Note : Taï-Marc le Thanh et l’illustratrice Rebecca Dautremer sont mariés). Pour dire les choses de manière imagée : dans un couple l’un s’occupe de la lessive, l’autre de la cuisine. Cela dit, je continue à faire de l’image, par le biais de l’ordinateur, notamment sur support vidéo. Ça me plait beaucoup, puisque ça me permet de combiner le récit et les images. J’ai des romans qui vont sortir à la rentrée et je prépare pour ces livres des vidéos de présentation.

L’écriture était-elle aussi très présente dans votre jeunesse ? Ou est-elle apparue plus tardivement ?

J’ai toujours aimé raconter des histoires. Pour ce qui est de l’écriture à proprement parler, je me souviens que j’aimais beaucoup écrire des lettres. Lorsque j’ai commencé à avoir des petites copines, j’en écrivais beaucoup. C’était pour moi un moyen de communication qui était posé, réfléchi, sans excès d’émotion, sans confrontation directe. Ça me plaisait beaucoup.

Ça peut paraître étonnant de souhaiter qu’un lien amoureux se tisse « sans excès d’émotion ».

Oui. Je m’interroge beaucoup sur le processus d’écriture. J’ai toujours associé cela à l’esprit d’escalier. Il m’arrive souvent, dans un roman, de retranscrire mot pour mot des conversations que j’ai pu avoir avec des amis ou mes enfants, tout en idéalisant un peu la forme, la syntaxe, la façon de s’exprimer. Ce qui me plait le plus est de reconstruire le monde à partir des données qu’on reçoit et l’idéaliser.

Je relisais avant notre échange deux albums illustrés que vous avez écrit et que j’ai sous la main :  Cyrano et Elvis. Chaque phrase de ces albums est joueuse. Chaque phrase est une idée. Il n’y a pas de temps de pause : les idées de formulation joueuses s’enchainent. Quand on sait qu’à côté de ça vous écrivez des romans, on se dit que ce sont deux pratiques bien différentes.

(Textes de Taï-Marc Le Thanh, illustrations de Rebecca Dautremer / ed. Gautier Languereau)

Quand j’étais au collège puis au lycée, je n’étais pas très bon élève en français. Donc quelque part, l’écriture me complexait, j’avais tendance à baisser les yeux quand je croisais un prof de français. Donc lorsque j’ai commencé à écrire, je ne me sentais pas légitime. J’ai trainé ça comme un boulet. N’étant pas sûr de moi, je mettais en contrepartie les bouchées doubles pour essayer de fournir un travail qui soit à la hauteur de ce qui se faisait à côté.

Sinon oui, l’écriture de roman est différente, d’abord, bien sûr, en termes de volume. Cela dit je passe beaucoup de temps à relire mes romans. Sur le premier, le tome 1 de Jonah, j’ai dû faire une dizaine de relectures dont trois à voix haute. Pour essayer de faire en sorte que le texte soit le meilleur. J’ai demandé à ma première éditrice si, par rapport aux autres textes qu’elle reçoit, le mien exigeait plus de travail. Elle a répondu par l’affirmative, me disant que c’est le cas parce qu’il y a des techniques d’écriture que je ne connais pas, que je n’ai pas apprises. J’ai beaucoup appris depuis le premier Jonah.

Vous parlez d’oralité, et du fait de lire vos romans à haute voix. Cela même si un roman n’est pas destiné à être lu à haute voix.

Quand ça passe à l’oral, ça passe à l’écrit. Il y a une fluidité qui se vérifie à l’oral. J’attache beaucoup d’importance à la musicalité des phrases et des mots. Au tout début, du fait de ressentir que j’avais des lacunes en écriture, je me suis reposé sur ce que je connaissais : la musique. Je suis un piètre musicien mais j’apprécie beaucoup la musique. Je me suis dit que je pouvais m’aider, pour écrire, de ce que je connaissais des sons, des rythmes. Quand je lis un roman, il y a une voix dans ma tête. Puis lorsque je tombe sur une phrase qui me plait vraiment, il m’arrive de la lire à voix haute. Textes et voix, pour moi, vont vraiment ensemble. Je prends ces temps-ci des cours de chant et ça découle du fait que je trouve la voix essentielle lorsqu’on s’adresse aux gens. Les vidéos que je prépare sont d’ailleurs des vidéos de lecture.

Cyrano a été adapté au théâtre.

Oui. Grande expérience. Ça a été une rencontre avec une troupe, qui sont devenus des amis et que j’essaye de suivre et d’accompagner autant que possible. Je suis allé deux fois à Avignon avec eux. J’essaye dans ces cas-là, avec le chargé de diffusion, de trouver des interventions dans les écoles en amont ou en aval du spectacle. Ils étaient sur Paris cet automne-hiver, mais c’est assez mal tombé, pendant les grèves. Nous sommes aujourd’hui à pas loin de quatre cent représentations. C’est un succès et j’espère faire autre chose avec eux.

Le texte de l’album est très ciselé, tient sur un fil. A-t-il été difficile de l’adapter pour un format plus long ? (La pièce dure aux alentours d’une heure).

Au premier contact avec la troupe, j’étais méfiant. Nous avions eu une expérience avec l’album Babayaga qui avait été adapté par une troupe italienne. Le spectacle avait bien tourné, était de qualité, mais dans sa forme, très moderne, il ne nous plaisait pas trop. Je suis parti sur cette nouvelle proposition un peu à reculons. J’ai accepté de les rencontrer, et la rencontre m’a permis de sentir que ça allait donner quelque chose. En revanche j’ai été très clair avec le metteur en scène. Je lui ai dit que je n’ai jamais fait de théâtre. Je lui ai proposé de lui envoyer deux ou trois scènes pour qu’il me dise ce qu’il en pense, en insistant sur le fait que, si ça ne lui plaisait pas, il pouvait me le dire sans détours. Il y a certains travaux de collaboration dans lesquels personne n’est satisfait, des concessions sont faites de chaque bord et on se retrouve avec un résultat qui ne plait ni à l’un ni à l’autre. Je voulais être sûr que ce ne serait pas le cas. Les premières scènes que j’ai proposées lui ont tout de suite plus. J’avais donc son feu vert. C’est une petite troupe, donc les moyens sont limités. Ils voulaient jouer la pièce avec trois comédiennes. L’idée était que ces trois comédiennes jouent le rôle de trois jardinières et qui mettront ensuite des masques pour interpréter Cyrano, Christian et Roxanne. Cette idée m’a été imposée : des passages avec les trois jardinières qui font office de narratrices et vont poser l’ambiance puis quelque chose de beaucoup plus théâtral, dialogué, avec les trois personnages centraux. Je me suis lancé dans l’aventure avec une boule au ventre. Déjà au moment de l’écriture de l’album, je savais que je m’attaquais à un classique et qu’il ne fallait pas faire n’importe quoi. Mais lorsqu’en plus on ramène ce texte a sa forme théâtrale, avec l’intitulé Cyrano, la pression était là, notamment sur les scènes emblématiques, la tirade du nez, la scène du balcon ou celle, en fin de récit, de la lettre.  J’ai toujours réussi à m’en tirer par des pirouettes. J’ai lorgné vers la commedia del arte pour la scène du balcon. J’ai carrément biaisé la tirade du nez, en créant un aparté dans lequel une jardinière intervient pour parler de poésie et de la manière d’en faire une arme. Et pour ce qui est de la scène de la lettre, j’ai totalement réécrit la lettre. Lors d’une représentation, un metteur en scène qui travaillait sur le texte original était dans le public. Il m’a dit « Dis-donc, tu as un sacré culot. Tu réécris la lettre : ça fonctionne, mais tu t’attaques à un monument ».

Est-ce que c’est une de vos rares expériences de travail d’équipe ?

J’ai écrit cette adaptation dans mon coin. Nous nous sommes ensuite retrouvés à Bayonne avec le metteur en scène pour deux jours de travail, de lectures avec les comédiennes. J’étais avec mon ordinateur, essayant au fur et à mesure de rectifier les passages qui, joués, fonctionnaient moins bien. Puis je les ai laissés se débrouiller et n’ai découvert la pièce qu’un an plus tard. Je ne suis intervenu ni sur le décor ni sur la mise en scène. Nous allons par contre lancer un projet, probablement l’an prochain et Hervé, le metteur en scène, m’a dit qu’il souhaiterait une collaboration plus étroite, au niveau de la mise en scène et des idées de décor. Ça me plairait énormément.

Êtes-vous un écrivain qui organise beaucoup son écriture, notamment lorsqu’il s’agit de textes longs, de romans.

J’organise un petit peu. J’ai écrit Jonah en sachant où j’allais. À l’origine, me suis dit « Je veux écrire un roman ». Je suis donc descendu dans la chambre de ma fille et j’ai choisi un roman de sa bibliothèque. Un roman épais. Puis j’ai compté le nombre de signe par page, le nombre de pages, le nombre de chapitres. J’ai fait la multiplication pour savoir, si je voulais faire un roman, combien de signes approximatifs il me fallait. J’ai raconté ça à l’éditrice de Didier Jeunesse et je me suis fait engueuler. J’ai fait un gabarit sur InDesign sur lequel j’ai commencé à écrire. Je n’avais pas de plan pour ce premier tome. C’était une écriture plaisir, à laquelle je m’adonnais le soir, le week-end, pendant les vacances. J’ai mis une année environ pour le finir. C’était lié pour moi à un sentiment de liberté, sans idée précise de le faire éditer, sans cette pression-là. Lorsque le manuscrit était près, je l’ai fait lire à mon fils qui avait dix ans à l’époque puis à la fille d’une amie. Ils sont tous les deux arrivés jusqu’au bout. J’ai alors senti que je pouvais l’envoyer à un éditeur. Après cinq ou six essais d’envois infructueux, il a été pris. L’écriture d’un premier tome est souvent facile, parce qu’il n’y a pas d’effet de comparaison. C’est le deuxième qui est compliqué. Il doit répondre à des attentes d’un lectorat qui existe déjà. C’est à ce moment que j’ai commencé à faire un plan, de manière assez scolaire. Je n’ai finalement suivi ce plan que durant trois chapitres avant de repartir en roue libre. Cela dit prévoir certaines choses est important. Si je continue à faire des plans, c’est parce que ça permet de prendre du recul. Mais je ne m’interdis pas, après l’avoir laissé reposer, de le malmener.

Je suis étonné par une chose que vous avez dite : vous écrivez sur InDesign ? L’écriture se fait dans votre cas dès l’origine sur un logiciel de mise en page ?

Oui, même pour l’écriture, j’aime bien quand c’est propre, quand les marges sont posées. Je déteste les traitements de texte comme Word. Du fait de mon activité de graphiste, la partie visuelle compte énormément au moment d’écrire. Je demande d’ailleurs souvent à faire la couverture de mes romans. C’est Rebecca qui a fait les illustrations de couvertures de Jonah, mais j’en ai fait le logo et l’habillage graphique. En revanche pour Le jardin des épitaphes et pour le roman qui va sortir à l’École des loisirs bientôt, j’étais en charge complète des couvertures. Il m’arrive d’ailleurs de réaliser les couvertures alors que le travail d’écriture n’est pas fini. J’ai besoin d’avoir des images, de visualiser ce que sera le livre. Les images de couverture sont produites parce que j’ai l’impression qu’ils correspondent au contenu du texte. Ça va de pair. Avoir une image permet aussi d’amener une cohérence, de rattacher les wagons, lorsque l’écriture se perd parfois.

Le temps nécessaire pour constater si un roman a plu au lectorat est long. De par le fait qu’un roman prend un certain temps à être lu par un grand nombre. Ce n’est pas la même instantanéité qu’un film. Vous êtes-vous lancé sur le deuxième sans savoir quelle était la réception du premier ?

Quand le premier tome de Jonah est sorti, j’avais fini le troisième. J’avais une longueur d’avance. Mais je dois dire qu’avant le retour des lecteurs, j’ai surtout fait confiance à l’éditeur. Si le premier lui a plu, il fallait que je fournisse un travail qui soit du même acabit sur les suivants. Il y a une ambiance assez particulière dans Jonah. J’associe Jonah à un conte de fée. Je voulais préserver cette atmosphère-là sur l’ensemble de la série.

L’éditeur était donc partant pour une série en plusieurs tomes, avant de connaître la réception des lecteurs.

Oui nous étions partis sur sept tomes. Nous en avons finalement fait six. Je ne pense pas que je repartirai sur une série de cette ampleur. Ça a représenté cinq années de travail. C’est énorme. Lorsque j’ai mis le point final, il y a eu une forme de déchirement. Je me suis toujours dit qu’après l’écriture d’un roman, il y avait une forme de baby blues. Je suis un peu revenu sur cette idée aujourd’hui. J’ai moins de mal à laisser des personnages. Je sais qu’ils continuent à vivre même si l’écriture est finie. Mais après Jonah, j’avais très peur de ça. C’est la raison pour laquelle j’ai rapidement embrayé sur le projet suivant : le diptyque du Jardin des épitaphes. Puis ça a été Les sept de Babylone en trois volumes. Aujourd’hui je ne travaille plus sur des séries. J’essaye aujourd’hui de développer une suite de romans, probablement trois, qui sont rattachés par une idée globale, mais ce n’est pas vraiment une série. Chacun aura son indépendance.

Pour parler de graphisme, je veux bien aborder votre collaboration à la maison d’édition Tishina, qui publie des versions richement illustrées de grands textes de la littérature. La situation est particulière puisque vous avez mis en page des livres qui ont été les premiers de la maison. C’est un peu vous qui avez fixé les bases graphiques de leur collection principale. Sur le premier livre, Soie (texte d’Alessandro Baricco, illustré par Rebecca Dautremer), quelles étaient leurs intentions ? Quelles étaient les vôtres ?

Mon intention à moi était de faire rentrer tout le texte (rire). Les contraintes techniques, plutôt que les intentions, étaient liées au nombre d’illustrations que Rebecca souhaitait faire. Charge à moi de voir à partir de là, au niveau de la maquette, comment faire pour que l’alternance entre le texte et l’image ne paraisse pas indigeste et que le lecteur ne se retrouve pas avec des pages qui soit blindées, surchargées et qui ne donnent pas envie de rentrer dans le texte. Soie est un texte qui est extrêmement élégant, dans l’épure, avec des paragraphes très courts, une économie de mots pour raconter quelque chose de très fort. Il fallait que la mise en page réponde à ça. Avec Tishina, et notamment sur Soie ou Le soleil des Scorta, la collaboration a été classique. Mais j’aime beaucoup ça. Lorsque je fais de la maquette, je mets de la musique en fond sonore et je passe des journées très agréables. Pour Soie, Rebecca avait déjà travaillé sur un chemin de fer, il y avait moins de difficultés qu’avec la nouvelle collaboration que nous menons avec Tishina sur Des souris et des hommes. C’est un texte plus terrien, qui sent la transpiration, qui est humain mais aussi animal. Le graphisme, plus foisonnant, s’est adapté à ça. Il y a aussi eu une collaboration plus active, avec des propositions plus joueuses, sur le artbook de Rebecca que Tishina a publié et pour lequel j’ai proposé une forme originale et foisonnante. À posteriori, je me dis que si nous refaisions Soie aujourd’hui, nous serions peut-être un brin plus joueurs, tout en restant simples. Mais c’était le premier ouvrage de la maison. Il ne fallait peut-être pas prendre trop de risques. On m’a demandé, dans ma carrière de graphiste, de travailler sur des mises en page d’albums jeunesse (notamment pour Elvis), alors que je n’avais à cette époque travaillé que pour la presse informatique. J’ai mis un temps avant de comprendre qu’il fallait que je me débarrasse du côté glacé et architecturé de l’informatique et aller vers plus de légèreté.

La maquette de Des souris et des hommes fait s’entremêler plus intimement le texte et l’image. Toutes les pages sont illustrées et le texte est souvent inclus dans les images. Est-ce que cela a imposé de travailler en plus étroite collaboration avec Rebecca ?

Rebecca avait établi une pré-maquette, qui définissait quel texte allait aller avec quelle illustration. Elle avait placé les blocs de texte. J’ai parfois respecté cette pré-maquette, parfois moins. J’envoyais mes pages à tout le monde, Rebecca et les éditeurs et tous réagissaient. Mais on ne s’asseyait pas Rebecca et moi autour d’une table pour réfléchir en direct à chaque page. Elle m’envoyait les éléments et je les mettais en forme : choix de typo, de taille de typo. La typographie, puisqu’intégrée dans l’image, devait être altérée, grattée. Cette idée avait plu à tout le monde, mais la réaliser n’a pas été une mince affaire. Quand la typographie est traitée de manière si visuelle, tout travail, par exemple avec la correctrice, remettait beaucoup de choses en question. Ça n’a pas été simple. J’ai fini le travail fin août. Un été sans vacances qui m’a mis un peu sur les rotules.

Des souris et des hommes de John Steinbeck, illustré par Rebecca Dautremer (ed.Tishina)

La question s’est-elle posée d’abandonner le graphisme ou l’écriture pour se consacrer à l’un ou l’autre ?

Non l’alternance entre les deux me convient bien. Il m’arrive de faire de grandes plages d’écriture, qui durent deux ou trois mois. Mais vient toujours un moment où le lundi ça va, le mardi ça va, le mercredi je commence à tirer la langue, le jeudi ça devient dur et le vendredi la concentration n’est plus au rendez-vous. J’ai toujours un petit boulot de graphisme à faire, des GIF à monter, qui me permettent de m’aérer l’esprit.

Vous parlez à propos du graphisme de vous aérer l’esprit : est-ce que je dois comprendre que le graphisme est plus instinctif, moins intellectualisé ?

Ça dépend des projets. Je travaille actuellement sur des vidéos, c’est un travail de graphiste sur les images, la lumière, la mise en scène. Il y a des partis pris. Je réfléchis à ces choses. Après, avec l’image, il n’y a rien à faire (et Rebecca vous dira la même chose) : elle est belle ou elle n’est pas belle. Il n’y a pas à tergiverser, à tourner autour du pot. Trop intellectualiser l’image n’est pas souvent la meilleure des idées.

Vous me parliez de votre envie première de faire de la BD. Êtes-vous toujours lecteur de bande dessinée ?

Oui, même si un peu plus occasionnel. Jeune, je lisais beaucoup de classiques. Asterix m’a façonné, dans mon écriture, dans mon humour. Entre vingt et trente ans, je lisais et achetais beaucoup de BD franco-belge. Puis depuis la découverte d’Akira, je suis très porté vers les mangas. Tout ce qui vient d’Asie, le cinéma aussi, me parait avoir une décomplexion qui fait du bien. Les auteurs ont une histoire à raconter : ils la racontent sans faire de chichi. C’est fait de manière viscérale. Cette décomplexion me plait beaucoup, comme elle plait aux jeunes. Mes enfants ont lu One Piece. J’en ai lu les dix premiers. Le plaisir de l’auteur est palpable.

Votre prochain roman paraît à l’École des loisirs. Ce n’est bien sûr pas la seule, mais c’est une maison réputée pour être un lieu où on s’occupe bien des auteurs, dans une relation à long terme, suivie. Vous confirmez ?

C’est une maison qui a un certain prestige. Je remarque bien que lorsque je dis aux gens que je publie à l’École des Loisirs, les réactions ne sont pas les mêmes. Il y a effectivement un suivi qui est agréable. L’éditrice m’a envoyé un message pour se voir, discuter de prochains projets. Ce n’est pas toujours le cas.

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